Pris le temps de me lever, ranger le bazar dans le sac à dos, linge sale, bouffe, lessive de la veille, presque sèche. Petit dèj très complet, seul dans la salle de resto de l'hôtel. Dehors, épaisse nappe de brouillard, encore plus dense que la panna cotta du p'tit dèj. File plein sud, vers la piste du chateau d'eau.
Croise un groupe de gamins, reconnu l'animateur, Fabrice, le guide "Patagonie" de l'avant veille au bar du CAF. Bribes d'explications sur le sous sol rocheux et la géologie, happées en coup de vent. Sur la route du col de Torte, la rosée recouvre déjà le pantalon et la veste de KWAY prudemment enfilés, dès le départ.
A peine le temps de surplomber un troupeau laineux et de distinguer le village en contrebas, fantomatique, le GR m'emporte.
Pas de bruits, l'atmosphère semble comme étouffée, enfiler les lacets en montant. Prendre la bifurcation dans la plantation ONF. Pas âme qui vive.
Eviter le piège des épeires, moelleux et irisé par la bruine, séduisant et futile. D'un coup de baton, déchirer le voile ? Non, laisser la vision m'imprimer la rétine. Juste ça, et penser comme le mystique d'Assise, à "Soeur Araignée", qui inonde le paysage de la beauté tissée, d'un linceuil délicat...
Pressentir la trace fumeuse d'un troll imaginaire dans les amas d'un chaos granitique, parsemé de sorbiers et gravir les échelles du temps...
Laisser l'imagination divaguer, jusqu'au point culminant de la journée, le col de Tortes, s'enrhumer les neurones avec cette couverture brumeuse, iridescente. Là, Pause salade de thon, sous le panneau affamé, des ruisselets boueux dégorgent de la cabane de captage, pas vraiment un déluge, mais une belle pateaugoire pour rincer les godasses.
Allez, c'est reparti, toujours dans le brouillard, mais la dose de sucres lents (toujours les patauthon) fait son effet tranquillement. La glycémie remonte, et le moral avec.
Plus bas, un troupeau, encore, comme surgi de nulle part. Il n'y a pas toute la scène sur ces clichés. Alors que je shoote la gent moutonnière, une forme plus imposante émerge du troupeau...
Putain ! Un patou gigantesque traverse la nuée de bestioles bélantes et s'avance en grognant, canines en dehors. Puissante montée d'adrénaline, plus je lui parle, plus il grogne, reculade. Il suit. Palabres pour le rassurer, Aboiements en échos. Mène par large, contournement stratégique, à pas lents, accélération, franchissement de ruisseau et déviation, perte du GR. Merde, merde remerde. Perdu la trace, en empruntant un talwegh à l'Est. Puis retour à la boussole. Plein Ouest.
Retour sur le GR, la route du Soulor surgit de la brume. Et avec elle, une flopée de fraises des bois, à point. Pouf pouf pouf, divins fruits sucrés et gouteux après les émotions récentes. Et bim ! redescente vers le cirque du Litor. Le groupe d'allemands croisés m'ont prévenu, "il y a un sanglier... un peu macho !"
La trace du GR se perd dans les prés, le balisage dans ce brouillard ? Pas la peine de compter dessus... Plus loin, ouf, enfin retrouver la sente dans de la rocaille, clean, bien piétinée, rassurante.
Et voilà, aux abords d'un troupeau, le voilà le "sanglier macho"... Mais c'est un marcasseau prépubère ? ! ?
Il a tout de même le sens du territoire, il me suit du regard, pendant que je contourne le troupeau de moutons. Bon sang, c'est clair, il les quitte pas les ovins ! Il les garde, je rêve, il les GAAAAARRRDE.
Au train où ça va, le prochain troupeau, sera surveillé par un ours !
Et là, j'échaffaude et je décrypte le complot, je recompose le scénario : le berger de ce troupeau, chasseur à ses heures perdues, a recueilli le jeune marcassin dont il a flingué la mère, l'a fait allaiter par les brebis et l'a élévé dans le troupeau, créant ainsi un indéffectible lien de parenté. Domestication empirique et fonctionnelle : le bougre, maintenant, il défend sa famille moutonnesque !
Sur ces considérations métaphysiques, je reperds le GR, j'essaye de tracer, à travers des espèces de tourbières et de nardaies gorgées d'eau, des champs de fougères aigle envahissantes. Toujours pas la moindre balise... Tentative d' azimuth brutal dans la pente en face. Toujours rien. Un point d'orientation, boussole - carte, découvre que me suis planté, parti trop au Nord, et par un subtil recadrage magnétique, dont mon compère chamineux et transmassif serait fier, je recolle au cap, Est Sud Est. Et paf ! le panneau salvateur !
Plus loin, toujours le GR qui emprunte la route du Soulor (et du mythique Col d'Aubisque), génial, le sommet de l'accueil, au mois d'août... Mais, suis mauvaise langue, il y a plus de 20 ans, passé 6 mois fabuleux dans une vallée voisine...
D'ailleurs, ça ne décourage pas les forçats de la bicyclette, ils causent tous en hollandais... Ca doit leur changer des polders, hein ? Alors, on a pris assez de réserve de gouda ? Mhuuummm, un vieux gouda à la mimolette, je rêve d'un casse croute fromâââger, d'un seul coup (la bouffe, toujours la bouffe)
Après la traversée de la route, le balisage est carrément aux petits oignons, merci qui ? Apparemment, on a changé de département...
Juste le temps d'avaler le col de Saucède, une photo dédicace à ce compagnon de 20 ans d'âge (enfin, 1989, ce sera pour l'an prochain, la médaille du mérite en portage rando...).
Des vaches par ci, des vaches par là, dans la descente. Ca ne m'amuse plus, plus de montée, juste la pluie qui ruisselle sur les flancs du chapeau baroudeur, un peu marre de floppiflopper dans les godasses. D'ici, je peux sentir le dessous des orteils tout frippés par l'humidité. Je les tortille pour les réchauffer, sur les semelles imbibées. La baaaarbe !
Et voilà, après 4 h 45 de marche, les prairies de fauche du fond de vallée et les batiments d'un centre de soins, à Arrens...
Le ciel est toujours aussi bas, mais la pluie a cessé.
Arrens est un gros bourg, avenant et épicurien. De dizaines de vacanciers se balladent dans les rues, envahissent les commerces traditionnels, des charcuteries avec du jambon maison, des patisseries aux devantures bouleversantes...
Laisse sur la gauche la trace du GR, qui file vers l'Est, emprunte un pont de pierre au charme discret et les Pyrénées centrales. La suite, ce sera pour l'an prochain.
Le blues monte, juste le temps de changer de fringues et se défaire de l'humidité de la journée. Retour en stop et en sandales jusqu'à Lourdes, pile poil pour récupérer le dernier train en partance pour Bordeaux.